Classe terminée ; sourire remballé [ Gaby ]

Sara venait tout juste de sortir de sa classe. Elle avait passé la journée à dispenser ses cours d'Italien. C'était la seule chose qui la maintenait en vie. Ses cours. Partager sa passion pour sa langue maternelle. C'était tout ce qui comptait pour elle à présent. L'Italien et son daemon. Fedele se faisait du souci pour elle. Il l'avait connu triste, elle l'était depuis qu'elle était enfant. Elle n'avait jamais vécu dans des conditions idéales, même si elle faisait croire à tout le monde le contraire. Lorsqu'elle avait rencontré William, elle avait réellement retrouvé goût à la vie. Et puis elle l'avait perdu. Mort dans un accident de voiture. Lui avait été très attristé de sa mort, d'autant qu'il aimait beaucoup la daemon qui suivait le jeune homme. Mais Sara avait été littéralement dévastée. Elle avait perdu son sourire, sa joie de vivre retrouvée avec lui. Il avait l'impression d'avoir perdu une partie d'elle et ne savait comment la retrouver.

* Sara ? Tout va bien ? *
* Je suis fatiguée. Mais ça va. *

Toujours la même réponse. Toujours la même lassitude. Fedele se colla contre elle lorsque la jeune femme s'assit sur un banc. Elle passa une main dans les poils autour de son museau. Elle adorait ce contact là. C'était l'endroit où les poils étaient le plus long. Elle poussa un soupir tout en regardant devant elle. Fedele souleva son autre main pour attirer son attention.

* Tu ne te plais pas, ici ? *
* J'enseigne. C'est tout ce qui m'importe. *

Bien sûr. Comment aurait-il pu en être autrement ? Son Italie natale lui manquait, quoiqu'elle en dise. Elle avait du la quitter pour s'éloigner de son père mais tout lui manquait. Leur joie de vivre, leur façon de parler, d'agir, leur cuisine, leur musique, tout. William lui manquait. Son sourire, son caractère, sa douceur, sa tendresse. Elle parlait des deux dans ses rêves. Dans ses cauchemars aussi. Elle y pensait sans arrêts. Et ce soir encore, assise là, ses pensées étaient tournées vers lui. Fedele n'insista pas. Il se contenta d'apprécier la tendresse que Sara lui donnait. Tous deux ne se préoccupaient pas non plus du monde qui défilait dans le parc. Ils semblaient seuls au monde.

La journée était enfin terminée. Etre enfermé toute la journée n’avait rien d’amusant pour Gabriel. Il aimait l’air libre, la nature. Et Elendil était pareil. La jeune léopard marchait à coté de lui, tranquillement, les oreilles aux aguets. Elle savait à quel point son ami avait attendu de pouvoir sortir dans le parc. Le jeune homme regarda respira à plein poumon. De l’air, enfin ! C’était une magnifique journée et le soleil faisait sortir les meilleures senteurs saisonnières. La main de Gabriel se perdit un instant dans le pelage doux de sa compagne, celle-ci ronronna sous la caresse.

« Tu as trop chaud n’est ce pas ? »
* Ne t’inquiète pas pour moi Gabriel. *

Elle avait beau le lui répéter sans cesse, il ne pouvait s’en empêcher. Il savait que l’animal dont son daemon avait prit la forme était un animal qui aimait le froid, ou pire, qui craignait la chaleur. Il aurait du rester au Danemark, pour Elendil. Même si c’était elle qui l’avait poussée à venir ici. La féline se frotta contre les jambes du jeune homme, le faisant presque tomber. Il rigola et la gratouilla entre les oreilles quelques instants. Elle se remit à ronronner, elle adorait terriblement ces gratouilles là et sa moitié le savait parfaitement.

* Tu n’as pas le droit de me torturer de la sorte. *

Gabriel éclata de rire et reprit sa marche, levant le nez pour humer les odeurs alentours, le parfum des fleurs, des arbres, tient, ce garçon ne c’était pas lavé depuis longtemps. Celle-là avait ses règles. Alors qu’il allait arrêter de renifler, ce n’était guère agréable dans un endroit aussi peupler, il repéra une odeur qu’il reconnaissait, la prof d’Italien. Elendil l’avait sentie aussi et se tourna vers Gabriel.

* Elle t’intrigue n’est ce pas ? *

Le jeune homme hocha la tête pour toute réponse. Oui, cette femme l’intriguait au plus haut point, en cours, elle était souriante, très douce, et il l’avait déjà aperçue en dehors, elle était renfermée, passait son temps avec son daemon sans jamais voir d’autre personne. Elle avait l’air tellement triste. Gabriel se dirigea alors vers là où il avait senti son odeur. Elle était assise sur un banc et le jeune homme s’en approcha.

« Je peux m’asseoir ? »

Après avoir reçu une réponse positive, il prit place sur le banc, Elendil à ses cotés. Mais la léopard ne semblait pas à son aise. Elle n’aimait pas les autres, ni cette manie qu’avait Gabriel de toujours aller vers eux. Elle était solitaire et préférait n’avoir aucun contact. Elle toisa le loup gris puis posa la tête sur la jambe de son ami et poussant un gros soupir. Gabriel passa ses doigts dans son pelage blanc sans regarder la professeur, il ne savait comment l’aborder sans la gêner. Elle avait l’air tellement triste.

« Je m’appelle Gabriel. »
* Jolie entrée en la matière mon Gaby. *

Gaby posa un regard mi-amusé, mi-réprobateur sur sa daemon qui lui fit une espèce de clin d’œil. Elle adorait le taquiner et aujourd’hui ne dérogeait pas à la règle.

« Je vous ai déjà vu, vous êtes la prof d’italien. »

Et il se tut, il ne savait pas si elle préférait rester seule ou si elle avait envie de commencer un dialogue. Elendil posa sur la jeune femme un regard ambré, très doux. A elle aussi, elle lui semblait vraiment mal.

Les jeunes gens semblaient ravis de retrouver le dehors. La plupart n'aimaient pas les cours. Sara avait du mal à comprendre pourquoi, elle avait toujours trouvé ça intéressant. Elle s'y était tellement plongée pour oublier l'ambiance morose qui régnait chez elle qu'elle avait réellement fini par aimer étudier. D'ailleurs, elle n'avait jamais redoublé, toujours première de classe, discriminée à cause de ça, appelée par des petits noms qui n'avaient rien d'affectueux. Elle avait finit par en prendre l'habitude. Elle n'était plus à une insulte près. Son daemon avait un mal affreux, lui, à accepter qu'elle se laisse faire comme ça. La seule chose à laquelle elle ne cédait pas, c'était la violence. Très tôt, elle s'était pris des claques de la part de son père. Avec lui, elle s'écrasait complètement. Au dehors, autant ses camarades l'ennuyaient verbalement, autant aucun n'avait le courage de l'affronter en face à face physique. Les trois fois où elle s'était battue au lycée, elle avait été si féroce qu'elle en avait envoyé deux à l'hôpital. Bien sûr ça aurait pu lui apporter des ennuis mais elle s'était toujours débrouillée pour que ça se fasse sans témoins. Qui aurait pu croire que la douce et timide Sara avait roué de coups un élève ? Aucun de ses professeurs. Elle avait au moins gagné ça : en bande, ils n'hésitaient pas à se moquer d'elle. Seuls, ils l'évitaient soigneusement. C'était suffisant pour elle.

* Tiens, c'est pas un de tes élèves, le jeune homme là bas? *

Sara tourna la tête dans la direction où regardait Fedele. Oui, en effet, elle le reconnaissait. Elle reconnaissait également le daemon dont son ami se méfiait. C'était génétique. Il évitait les gros félins. Il savait qu'il était une proie facile pour cette léopard et les loups ne sont pas du genre à foncer dans le tas sans réfléchir.

* Si, c'en est un. Mais je ne me souviens pas de son prénom. Il sont trop nombreux pour le moment. *

Tous deux tournèrent la tête dans un autre sens, oubliant la présence de Gabriel. Mais le jeune homme se rappela à eux car il s'approcha du banc où Sara était assise. Fedele le regarda avec une méfiance mêlée d'une légère curiosité. En général, les gens les évitaient. Sara ne donnait pas envie d'être connue, elle était si froide qu'elle paraissait profondément hautaine. C'était une image qu'elle se donnait, le loup gris-blanc le savait mais les autres eux, l'ignoraient... Gabriel demanda s'il pouvait s'asseoir. Au grand étonnement de Fedele, elle répondit de manière positive.

« Si tu veux, oui. »

Oui enfin de manière positive... C'était beaucoup dire. Après tout, le parc était un lieu public, elle ne pouvait pas lui dire non. Lorsque la léopard regarda Fedele de haut, il positionna sa queue entre les jambes et plaqua les oreilles sur les côtés en signe de soumission. Ne jamais faire le malin avec un félin. Se défendre seulement si la situation l'impose. A la réflexion du jeune homme, Sara acquiesça.

« C'est exact. »

Elle ne répondit rien de plus. La conversation n'allait pas être facile. Pas bavarde pour un sou, Sara n'engageait jamais le dialogue et le continuait tout juste. Elle aurait aimé être un animal pour ne pas avoir à s'exprimer par la parole. Son regard croisa celui de la féline. Elle le détourna instantanément, troublée par la douceur qui s'en dégageait. Sans regarder Gabriel, elle prononça de nouveaux mots.

« Ta daemon est superbe. »

Fedele poussa un petit soupir. Sara le regarda.

* Tu es bavarde, dis donc. Tu as dépassé les trois mots. *
* Oh, ça va, tais-toi. Tu ne l'es pas plus que moi. *
* C'est pas faux. Et puis je suis pas rassuré par son daemon. Je n'aime pas beaucoup les félins. *
* J'ai remarqué. *

Elle lui donna une nouvelle caresse et il entreprit de passer sous le banc pour s'y allonger. Il jeta un regard à la queue qui traînait derrière la léopard. Bon sang, elle devait faire un mètre de long. Elle était quasiment aussi grande que lui. Brrr...

Elle ne semblait vraiment pas très à l’aise. Et son daemon non plus d’ailleurs. Gabriel ne connaissait pas bien les loups, même s’il trouvait que c’était des animaux magnifiques et celui-là plus particulièrement. Elendil continua de fixer la jeune femme, rien d’intimidant, juste une façon d’essayer de la comprendre, mais elle semblait insondable et la léopard détourna le regard pour venir le poser dans les yeux de Gabriel. Le jeune homme lui caressa la tête et sourit à la remarque de la jeune femme, oui, sa daemon était vraiment superbe.

* Remercie la pour moi. *
* Fait le toi*

La léopard sembla bouder quelque instant, elle n’aimait pas parler, surtout quand ce n’était pas à Gabriel qu’elle adressait la parole. Elle tourna a nouveau la tête vers la prof d’italen et cligna des yeux. Elle tourna la tête sur le coté.

« Merci. »
* Tu vois ce n’était pas si dur. *
« Elle n’aime pas trop les autres personnes. Le votre est magnifique aussi. »

La féline gronda légèrement contre Gaby et se coucha à les pieds, la queue battante. Gabriel eut une petite moue, cette daemon avait ces têtes quand elle voulait, mais elle était tellement adorable. Il se retourna vers la jeune femme et lui sourit, il ne savait pas comment l’aborder, elle était tellement renfermée sur elle-même et il ne voulait absolument pas la brusquer. Elle ressemblait à ces animaux craintifs qu’on ne peut pas photographier car même quand vous êtes loin, ils vous sentent.

« Votre daemon a peur d’Elendil ? »

Maintenant qu’elle avait commencé sur le sujet de leurs daemons, Gaby allait continuer à en parler. C’était un sujet de conversation inépuisable pour lui, sa douce, sa belle, sa princesse, son Elendil. Et puis, il fallait avouer que ça l’intriguait de savoir pourquoi le daemon de la personne avec qu’il discutait avait peur du sien. Elendil n’avait jamais eu peur de personne, ou du moins elle ne le lui avait jamais fait comprendre. Il savait qu’elle avait peur du feu, mais pas des autres animaux.
Gabriel sourit à nouveau à la prof d’italien, en signe d’encouragement. Il ne voulait pas qu’elle reste refermée comme ça sur elle-même.

Elle fut étonnée quand la daemon la remercia de vive voix. Les daemons parlaient peu aux humains étrangers en général. Elle aurait voulu lui sourire mais elle en était incapable. Elle se contenta d'un signe de tête, comme pour approuver une nouvelle fois le compliment qu'elle lui avait fait. Gabriel, lui, ne cessait de lui sourire. Il était comme sa tante, toujours le sourire aux lèvres, même en cours. Son visage reflétait la joie et l'envie de vivre, ce qui n'était pas le cas chez Sara. Elle se demandait comment c'était possible d'être aussi gai. Un être humain pouvait donc être capable d'être heureux sans arrêts ?

Elle regarda son daemon lorsque Gabriel lui dit qu'il était magnifique. Elle n'en doutait pas. Les loups de Mackenzie avait une couleur particulière qui leur donnait un air sage et sauvage. Elle les préférait de loin à tous les autres. C'était peut-être ce qui avait fait que Fedele avait prit l'apparence de cette catégorie là de loups. Fedele gratifia Gabriel d'un regard amusé quand il lui fit le compliment. Lui, il aimait bien ce jeune homme, malgré sa protectrice. Jusqu'à présent, c'était le seul avec qui elle n'avait pas refusé le contact. En temps normal, son humaine serait partie, là, elle était restée. Il aurait bien aimé que la joie de Gabriel déteigne un peu sur elle.

« Grazie ragazzino. »

Habituée à l'entendre en Italien, Sara n'y fit pas attention. Fedele se dit que s'il suivait les cours, il comprendrait. Ca n'était pas bien compliqué comme langue. Il oubliait parfois qu'il était parfaitement bilingue et que ça n'était pas le cas de tout le monde. Il se renfrogna lorsque Gabriel posa une question à son sujet. Il savait que Sara allait répondre sincèrement et ça n'était pas agréable de passer pour un trouillard.

« C'est génétique. Il se méfie des grands félins. Il est une proie pour eux. »

Fedele grogna légèrement. Bon, c'était bon là, pas la peine d'en dire plus. C'était assez gênant comme ça. Heureusement pour son orgueil, Sara n'en rajouta pas plus. Son regard traînait au loin, fixé sur les feuilles des arbres qui dansaient, poussées par un vent léger.

Gabriel jeta un coup d’œil amusé au loup. Il parlait italien en plus, ça ne l’étonnait pas plus que ça à dire vrai. Après tout, son humaine était italienne, ils surement conversés en italien ensemble, tout comme lui et Elendil conversait en aborigène ou en anglais. A l’explication de la prof d’italien, Gabriel eut un petit rire, il imaginait assez mal Elendil se mettre à dévorer un loup, d’autant plus que le daemon de son père avait été un dingo. C’état à peu près la même chose, canidé tout les deux. Et puis il lui semblait que les dingo étaient assez proches des loups comme animaux. Il n’en fit pas part à Mlle Sandrelli, s’il disait une bêtise, il se serait senti un peu mal.

* Tu m’imagines une seconde manger ça ? Pauvre diable. *
* Tu devrais peut-être le lui dire, il a l’air d’avoir vraiment peur. *
* Gabriel, la parole n’est nécessaire que dans certains cas. *
* Et ici ça n’est pas nécessaire ? *
* J’ai les babines en bas, les griffes rentrées et je suis couchée tranquillement, tu crois vraiment que j’ai l’attitude d’un prédateur dangereux prêt à bondir ? *

Gabriel ne put s’empêcher d’éclater de rire, cette daemon était vraiment drôle quand elle s’y mettait. Il n’empêche qu’elle avait raison, il n’y avait absolument rien dans son attitude qui laissait présagé qu’elle allait attaquer, elle était tranquillement couchée, elle semblait même en train de s’endormir, mais le jeune homme savait bien qu’elle était toujours au aguets.

« Le daemon de mon père était un dingo. Il n’a absolument rien à craindre. »

Il se tut, il ne savait pas trop quoi dire pour détendre l’atmosphère. Apparemment elle était mieux enfermée dans ses pensées et qui était-il pour l’en tirer. Elendil voyait bien que sa moitié semblait hésiter à interrompre les pensées de la jeune femme. Elle prit alors sur elle et sortit de sa solitude.

« Vous aimez la nature Miss Sandrelli ? »

La léopard des neiges c’était redressée, étouffant un bâillement. Gabriel lui jeta un regard plein de question et l’animal lui répondit d’un signe de tête calme. Gabriel soupira, sa Della savait parfaitement ce qu’elle faisait apparemment, elle n’avait pas besoin de l’aide de Gabriel. Mais le jeune homme ne savait pas vraiment quel chemin prenait la daemon et ça l’inquiétait un peu.

Un dingo ? Un chien sauvage. Un chien... William. Oh, bon sang, c'était incroyable, tout finissait par dévier pour en revenir au même point. Son absence. Fedele le sentit et demanda à Sara si elle se sentait bien ou s'il valait mieux partir. Elle lui répondit qu'elle tiendrait le coup, comme d'habitude. Fedele ne bougea donc pas, se détendant un peu plus vu que la léopard ne bougeait pas non plus. Il se demandait comment Gabriel allait s'en sortir avec sa protégée. Les gens abandonnaient vite l'idée de converser avec la jeune femme. Elle était trop silencieuse. Elle le savait, il le savait. Mais elle le cherchait. Alors comment pouvait-il la sortir de là ? Soudain, Elendil prit la parole. Fedele ne s'y attendait pas et fit un tel bond qu'il tapa la tête contre le banc, provoquant un grand BOUM et un tremblement du meuble.

« Aïeeeee ! »

Mais il provoqua aussi et surtout un superbe éclat de rire chez Sara. Mon dieu, ça faisait des mois qu'il ne l'avait plus entendu rire ! Il sortir de sa cachette en bougonnant.

« On devrait interdire les bancs publics. Ca vous attaque de façon sournoise. »

Le rire de la jeune femme s'éteignait déjà, son visage repassant à la tristesse habituelle qu'elle portait, mais Fedele était heureux qu'une maladresse de sa part ait éclairé ses yeux l'espace de quelques secondes. Pour soulager sa tête, car elle aussi avait la migraine du coup, elle lui passa une main sur le crâne, le massant légèrement. Fedele grogna de plaisir. Il aurait une belle bosse dans quelques heures. Enfin, Sara répondit à la question de la féline.

« La nature... Oui. C'est une des rares choses qui me tient en vie avec Fedele, mes cours et... » Elle se tut quelques secondes, s'interrompant elle-même la parole. « Oui, j'aime la nature. Mais j'ai plutôt intérêt avec Fedele, car il m'y entraîne régulièrement. Selon lui, ça me fait changer d'air. »

Fedele lui lança un regard teinté de reproche. Il détestait quand elle insinuait que sortir de servait à rien. Il faisait son possible pour l'empêcher de pleurer à longueur de journée et parfois c'était loin d'être facile de la tirer de son lit.

« Elle a beau être la fille la plus gentille que je connaisse, c'est une vraie tête de mule. »

Elle le poussa gentiment du genou lorsque son daemon prononça ces mots. Déjà, Gabriel n'avait pas à savoir qu'elle était gentille, ensuite, encore moins qu'elle était parfois butée et puis d'ailleurs, il n'avait pas à savoir quoique ce soit sur elle, tout court.

* Il est sympathique. Il s'intéresse à toi. *
* Je m'en fiche, Fed. *
* Pas moi. *

Elle soupira et remonta ses jambes sous elle pour se retrouver en tailleur, replongeant dans son silence. Fedele soupira à son tour. Si elle s'entêtait à ne rien dire, ils n'arriveraient jamais à rien avec personne. N'était-elle pas venue là pour tourner la page ? Alors pourquoi refusait-elle d'avancer, maintenant qu'elle était lancée ? Il se rallongea, mais devant elle cette fois, évitant soigneusement le banc et ses attaques surprises.

Gabriel se mit a rire lui aussi quand le daemon de Miss Sandrelli se frappa la tête contre le banc. Elendil émit un petit grognement qui lui aussi était un rire, même s’il fallait avoir vécu longtemps avec elle pour arriver à décrypter les bruits qu’elle faisait. Mais la professeure s’arrêta de rire aussi rapidement qu’elle avait commencé. C’était bizarre, triste. Le rire semblait exclu de sa vie et le jeune homme trouvait ça triste, tellement triste, lui qui était toujours heureux. Malgré la mort de son père, il était resté une personne heureuse et il profitait le plus possible de sa vie. Et ce, grâce à Elendil, c’était elle qui l’avait fait sortir de sa torpeur. Mais le jeune homme avait du mal à comprendre pourquoi le loup de la jeune femme avait tant de mal à la faire sourire. Avait-elle vécu quelque chose de tellement difficile pour qu’il lui soit impossible de passer outre ?

Quand elle lui parla de la nature, Gabriel comprit soudain où voulait en venir sa daemon. Il venait de saisir. Et puis le loup lui expliqua qu’elle était têtue et Elendil dut retenir un nouvel éclat de rire. Le jeune homme lança un regard de biais à sa moitié, signe de se taire et tourna la tête vers la jeune femme.

« La nature ça fait vraiment du bien, l’air pur, l’odeur des arbres, le bruit de la sève qui coulent sous l’écorce, le bruit lointain d’un écureuil qui…. »
« Gabriel, je ne suis pas sur qu’elle ait ton odorat surdéveloppé, ni ton ouïe. »
« Oh pardon, je m’emballe. Vous devriez venir avec nous une fois, je connais des très bons coins dans la forêt. Bon il ne faut pas avoir peur de se salir par contre. »

Oui, il connaissait la forêt mieux que sa poche. Enfin, celle d’ici pas vraiment. Il avait découvert deux trois endroit vraiment magnifique, mais en dehors de ça, c’était sa jungle à lui qu’il connaissait le mieux, celle où il avait grandit. Mais ça il ne le dirait pas, il ne le lui dirait pas qu’il avait vécu dans la jungle, il ne voulait pas commencer à raconter sa vie, parce qu’il savait qu’on pouvait facilement penser que c’était une invitation à parler aussi de son passé et il ne voulait surtout pas qu’elle pense qu’il était curieux comme ça et qu’elle remue les choses douloureuses qu’elle ressassait.

« Nous avons grandit dans la jungle avec Gabriel. On a pas vu de civilisation en quatorze ans, à part les aborigènes avec qui l’on vivait. Gabriel est même devenu un homme, il en a un tatouage sur l’omoplate. »
« Elendil ! »

Mais la léopard avait dit ça d’une voix tellement fière. Elle avait été tellement heureuse de voir son petit protégé devenir un homme qu’elle était obligée de s’épandre la dessus, malgré le regard plein de reproche que lui lançait le jeune homme. Il détestait en parler. Elle adorait le vanter.

Voilà que le jeune homme se mettait à parler. Pitié, pas de conversation ! Elle n'avait aucune envie de parler. Aucune envie de se livrer à quelqu'un. Aucune envie d'être là, assise sur ce banc, à être obligée de répondre à un de ses élèves et à sa daemon. Elle aurait mieux fait de ne pas écouter Fedele et de se contenter de rentrer directement à sa chambre après ses cours. Sans qu'elle lui fasse partager, Fedele savait à quoi elle pensait et poussa un grognement de protestation.

* Je suis le premier à ne pas aimer les inconnus. Si tu n'as pas confiance en lui, aies au moins confiance en moi. Tu dois sortir de ta tristesse, Sara. T'enfermer comme ça sur toi-même n'arrangera rien. William aurait détesté te voir comme ça. *

Elle fit une grimace de douleur lorsqu'il "prononça" son prénom. Elle le supplia de cesser d'en parler. C'était trop douloureux, encore trop récent malgré les mois passé, c'était insurmontable ou tout du moins, c'était ce dont elle était persuadée. Fedele se tut, attentif à présent aux mots que prononçait Gabriel. Il touchait juste. Il savait que Sara finirait par parler, la nature était tellement importante pour elle.

« Venir avec vous... Fedele en serait sans doute ravi, alors peut-être, pourquoi pas. »

Elle avait dit oui ! Elle avait dit oui ! Une lueur de bonheur s'alluma dans les yeux du loup. Sara venait d'accepter de promener avec quelqu'un ! Il regarda la léopard, les yeux brillants. Sa protégée venait d'accepter d'approfondir un contact ! Il regarda à nouveau Sara, laquelle s'aperçut qu'il était heureux, pensant que c'était au sujet de la promenade, non d'elle-même. Puis Elendil parla de l'endroit où ils avaient grandit. Quelle chance...

« J'ai grandi en plein centre de Rome. J'ai toujours cherché à m'enfuir. Vous avez du apprendre plein de chose, en vivant au contact de la nature. C'est une chance. »

Si sa voix avait toujours le même ton triste, sa langue se déliait. Fedele était aux anges. Sara aurait-elle rencontré quelqu'un qui s'intéresserait vraiment à elle, à tel point qu'elle finirait par lui parler pour de bon ?

Le jeune homme adressa un sourire à sa professeure. Il était content qu’elle ait accepté la proposition. Il fallait toujours faire confiance à Elendil pour ces choses là. Elle était là plus douer et savait très bien s’y prendre quand les gens refusaient de s’ouvrir. Elle connaissait la solitude, à part Gaby, elle ne cherchait à connaitre les autres. Gabriel soupira, sa léopard avait choisi sa solitude alors miss Sandrelli ne semblait pas l’avoir choisi, on lui l’avait imposé, elle se l’était imposée. Il ne savait pas et il ne voulait pas savoir, enfin, pas pour le moment. Il aurait bien voulu l’aider, mais il ne voulait surtout pas s’imposer alors qu’elle venait de lui accorder un tout petit peu de sa « confiance » en acceptant de venir en foret avec lui.

« Et je ne prétends pas tout savoir. Il y a tellement à savoir sur la nature. »
* Tu sais tellement sur la nature ! Tu pourrais partager ton savoir. *

L’Italie, il avait toujours rêvé de visiter ce pays, au lieu de ça, il avait habité des années au Danemark, dans le froid. Oh bien sur il avait adoré ce pays et Elendil y avait pris sa forme définitive, et il aimait son léopard, beauté, rapidité, sagesse. La blancheur de son pelage et ses petites taches en forme de cercle. Elendil était la magnificence pur et il était heureux de l’avoir à ses cotés, mais s’il avait eu le temps, il aurait apprécié connaitre d’autre pays surtout l’Italie.

« J’ai toujours voulu aller en Italie. Mais la chaleur ne plait pas à Elendil. »
« Gabriel, ne m’accuse pas pour toute ces chose que tu n’as pas faite à cause de sa mort. »

Gabriel resta bouche bée. Non, Elendil ne venait pas de dire ça, surtout pas à haute voix. C’était des critiques qu’il supportait quand elle lui les faisait quand ils étaient seuls, mais surtout pas à comme ça, de cette manière. Il savait qu’elle avait raison, mais pourtant, il n’arrivait pas à croire qu’elle aie fait ça. Devant la tête de son protéger, Elendil tourna la tête, se demandant ce qu’elle avait bien pu faire.

* Comment as-tu pu ? *
« Ne me dites pas que j’ai pensé tout haut ? »

La féline lança un regard vers Sara, comme si elle pouvait lui dire que non, elle n’avait rien fait de mal, mais Gabriel continuait de l’attirer vers lui par les pensées. Elle était tellement désolée et le lui fit comprendre. Gabriel passa la main sur la tête de sa daemon pour lui faire comprendre que ce n’était pas grave. Même si bien sur, elle savait que ça l’était.

« Bref. Je me réjouis que nous allions en forêt tout les quatre. »

Gabriel ne la brusquait pas. Elle appréciait. Il la laissait venir à lui, sans chercher à ce qu'elle parle vraiment. Il se contentait des courtes réponses qu'elle donnait. C'était quelque chose de rare et qui lui faisait du bien. Avec les êtres humains, elle avait toujours eu l'impression d'être forcée d'agir comme eux. Se fondre dans la masse, être pareille aux autres. C'était pour cette raison qu'elle avait préféré les animaux depuis sa naissance. Fedele se roula par terre, se mettant sur le dos et remuant la queue. L'attitude typique d'un loup super content. Intérieurement, Sara esquissa un sourire. Elle aimait le voir comme ça. Puis l'ambiance changea. Elendil aborda le sujet de la mort. Fedele se renfrogna immédiatement, se redressant sur ses pattes, oreilles en arrières et queue tendue à l'horizontale. Non pas, ça. Pitié, pas ce sujet-là. Pas la mort. Sara détourna immédiatement le regard de son loup et avala sa salive difficilement. Elle se mordit l'intérieur des joues pour éviter de se mettre à pleurer. Pas maintenant. Ca n'était pas le moment.

* Sassy, tu n'es pas obligé de - *
* C'est bon. Tais-toi. Ca va aller. *

Le loup aurait voulu l'emmener avec lui, s'enfuir tous les deux pour qu'elle oublie cette dernière phrase où le sujet qu'elle redoutait tant venait d'être prononcé. Mais c'était trop tard. La léopard n'avait pas fait exprès, semblait s'en vouloir. Mais c'était trop tard. Fedele s'avança vers son amie, baissant la queue et poussa de son nez froid la main de la jeune femme. Sara fit un geste et il posa ses deux pattes avant sur elle. Elle l'enlaça une seconde avant qu'il ne descende et s'assoit à ses côtés, la fixant de ses grands yeux jaunes.

« La mort c'est quelque chose de difficile à affronter. Je n'en serai jamais capable. »

Elle se leva brusquement, surprenant son daemon qui manqua de se faire marcher dessus. Il lança un regard suppliant à Gabriel, il ne voulait pas qu'elle s'en aille. Il ne voulait pas qu'elle s'isole à nouveau, qu'elle s'enferme encore une fois dans son chagrin. Mais il savait que si c'était lui qui la retenait, ce serait totalement inutile. Il n'en n'était plus capable. Il avait su guérir toutes ses peines sauf celle-là. Sauf cette disparition qui semblait avoir fait mourir toute la joie de vivre de Sara. La jeune femme inspira longuement, lentement, expira de la même façon. Jamais elle n'aurait du lui adresser la parole.

* Fed', on s'en va. Viens. *
* Non, non non, non s'il te plaît ! Non ! *
* Ne rends pas les choses plus difficiles. *
« Mais c'est toi qui compliques la tâche ! Pas moi ! »

Sara se figea. Tout comme Elendil, Fedele avait pensé à voix haute. Elle aurait voulu le foudroyer du regard, l'envoyer balader, mais il avait raison... Tout était de sa faute. Elle était trop faible. Fedele, l'entendant penser, se sentit immédiatement coupable.

* Non c'est pas ce que j'ai voulu dire. Pardon. *

Elle passa une main dans les poils de sa tête, il se frotta contre elle à la manière d'un félin. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Il se faisait du souci pour elle. Trop de souci. Elle ne causait que des problèmes. Sans regarder Gabriel, à qui elle tournait le dos à présent, elle s'adressa à lui d'une petite voix. Une voix tellement différente de celle qu'elle avait en cours qu'elle en était méconnaissable.

« Ca n'était pas une bonne idée de venir me parler. Ca fait trop longtemps que... C'est trop difficile. Je suis désolée. »

Le ton de sa voix, misérable, montrait qu'elle l'était réellement. Elle esquissa un pas en avant. Pour la première fois de sa vie, Fedele affronta sa peur des félins. Il continuait de fixer Sara, se mettant face à elle, l'empêchant ainsi d'avancer, mais s'adressa directement à Elendil par la pensée.

* Je vous en supplie, Gabriel ou toi, aidez-moi... Je ne veux pas qu'elle s'enfuie, pas encore ! *

Sara soupira lorsque Fedele se mit devant ses jambes et le contourna. Le loup baissa la tête et fut contraint de la suivre, espérant que son appel à l'aide ne resterait pas sans réponse.

Sauf que la gaffe d’Elendil n’avait pas touché seulement Gabriel, mais aussi Sara. Et avant qu’il n’ait pu faire quoi que ce soit, la jeune femme c’était déjà levée en disant qu’elle ne pourrait jamais affronter la mort. Gabriel surpris le regard du loup et Elendil l’avait surpris aussi. Elle avait compris, le daemon de la jeune femme ne savait plus comment s’y prendre avait sa protégée, il ne savait plus comment la rendre heureuse. Le jeune homme aurait voulu pouvoir faire quelque chose, mais il ne savait pas comment réagir, pas comment la retenir, ils pourraient parler d’autre chose, oublier sans vraiment le faire. Mais elle ne semblait pas prête à laisser ça derrière elle.
Ils les laissèrent parler, peut-être que son daemon arriverait à la remettre dans l’ordre. Mais il ne semblait pas en être capable et la jeune femme s’excusa à Gabriel, qui ne savait plus quoi faire. Tout à coup Elendil sursauta, il venait de lui parler et elle ne s’y était pas attendue.

* Gabriel, fait quelque chose. Ce pauvre loup a besoin d’aide. *


Le jeune homme se leva et alla se placer au coté du loup, ne sachant pas que dire. Il aurait voulu lui dire que la mort passe, que l’on oublie, mais il savait que ce n’était pas vrai, que ça ne passait pas comme ça. Qu’on s’en voulait tout sa vie de n’avoir rien fait. Son père était parti depuis 6 ans, et il avait toujours mal quand il pensait à lui.

« Je suis désolé…J’ai connu, enfin je veux dire si tu…euh, en fais, il… »
* Gaby, tais-toi. *

Elendil se colla a lui et se plaça en face de la jeune femme, il fallait absolument qu’elle vienne au secours de son protégé, parce que la, il semblait vraiment complètement paumé.

« Miss Sandrelli, ce que mon Gabriel essaye de vous dire bien maladroitement je l’avoue, c’est que le vouloir prend toujours le pas sur le pouvoir. Perdre un être aimé, c’est douloureux, très douloureux. On a l’impression de ne plus pouvoir respirer, de ne plus jamais pouvoir sourire. Nous en avons fait l’expérience. L’absence, la douleur, elle semble insurmontable. Et il nous paraît absolument impossible d’en sortir. On ne peut pas gagner contre cette douleur qui nous ronge de l’intérieure.
Mais le vouloir prend toujours le pas sur le pouvoir. Et quelque part, on ne veut pas guérir. On a beau dire que si, c’est ce qu’on essaye de faire croire aux autres. Mais au fond de nous, on ne veut pas. Parce que guérir de son absence, ça ressemble trop a oublier. Parce que s’il reste dans nos pensées, c’est qu’il n’est pas encore perdu. Et puis, la douleur nous permet de nous rappeler que c’était la réalité.
Miss Sandrelli, je ne sais pas qui vous avez perdu et je ne peux pas vous dire que je comprend, parce que chaque douleur est propre à la personne qui la ressent, mais laissez le partir, pleurez, haïssez la de vous avoir abandonner, mais il ne peut pas revenir.
Le vouloir est toujours plus fort que le pouvoir. Si vous ne voulez pas retrouvez une certaine paix, alors vous ne le pourrez pas.
Ce n’est pas facile de combattre l’absence. Mais se laisser submerger n’est guère confortable. Vous ne pouvez pas vivre avec les morts. Votre rire ne le fera pas disparaitre de votre cœur. Je suis sur qu’il aimait votre rire plus que tout autre son et qu’il n’aurait pas voulu qu’il reste à jamais coincé dans votre gorge. Donnez à celui que vous avez perdu l'occasion de vivre au plus profond de votre cœur. Ce n’est pas à vous de le rejoindre. »

Gabriel regarda sa léopard avait de grand yeux, il ne pouvait pas en dire plus. Une fois encore, Elendil lui avait montré combien elle était sage. Mais il était surpris. Jamais elle n’avait parlé autant.

Sara s'en voulait. Elle s'en voulait d'infliger un tel comportement aux autres, à son daemon en particulier car elle le savait totalement perdu. Elle savait qu'il avait fait tout son possible pour la faire aller mieux et qu'il continuait. Ils parlaient longuement tous les deux du décès de l'homme aimé, se remémoraient des souvenirs, il lui disait qu'il fallait qu'elle le laisse s'en aller, qu'il était inutile de le retenir car aucun des deux ne pouvait guérir ainsi. Elle le savait. Mais elle n'en n'avait ni l'envie ni le courage. Laisser partir le seul homme qu'elle ait jamais aimé lui paraissait juste insurmontable. Fedele semblait renoncer à la retenir. Elle ne savait même pas si elle en était heureuse. Elle se sentait vidée de toutes ses forces, de toute sa volonté. Gabriel sembla vouloir dire quelque chose mais n'y parvint pas. Sara ne put s'empêcher de le toucher touchant. Mais c'était peine perdue que de vouloir la consoler. Et puis soudain, Elendil se mit à parler.
Bien sûr, tout ce qu'elle lui disait, Fedele lui en avait déjà dit les trois-quarts et lui répétait à longueur de temps. Mais l'entendre de la part de quelqu'un d'autre lui provoqua un choc. La douleur morale lui donna mal au ventre et Fedele gémit, touché lui aussi par la même occasion. Elle lui caressa la tête tandis que la léopard continuait son monologue. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux mais elle refusa de pleurer et s'essuya les paupières d'un geste vif, presque rageur. Une boule dans la gorge, elle mit quelques secondes à réagir aux paroles de la féline. Tous ses mots semblaient être difficiles à prononcer, comme s'ils restaient coincés en travers de sa bouche.

« Je ne peux pas. Je ne veux pas. Me résoudre à... Me résoudre à faire comme si... Je ne veux pas accepter qu'il ne soit plus là. Il était le seul à... »

Elle soupira et fit un pas en arrière. Jetant un coup d'oeil à son loup, qui l'encourageait du regard, elle se demanda si c'était une très bonne idée que d'en parler à des inconnus. Se livrer comme ça, du tac-au-tac à des "gens" qu'elle ne connaissait pas... Et puis le poids du deuil qu'elle s'obligeait à porter fut trop lourd. Elle regarda Gabriel, sa léopard et recula encore.

« Si je n'avais pas répondu oui il serait toujours en vie ! C'est à cause de ça qu'il est mort, à cause de moi et je ne pourrais jamais me le pardonner, jamais ! »

Et elle s'enfuit en courant mais cette fois-ci, Fedele réagit tout aussi vite qu'elle. D'un bond leste, il détala, bondit à nouveau pour se retrouver en face d'elle, lui barrant le passage et l'obligeant à s'arrêter. Il plaqua les oreilles, lui intimant l'ordre, à sa manière, de rester sur place. Il en avait assez qu'elle s'enfuie.

« Alors c'est ça ! Mais qu'est-ce que tu t'es foutue en tête ! Tu n'y es pour rien, Sara ! »
« Ah oui ? Remontes une journée en arrière avant sa mort et tu verras que j'ai raison. »

Fedele poussa un tel grognement que Sara recula, surprise. Le poil dressé, il fixa son humaine dans les yeux, laquelle sembla s'écraser sous son autorité.

« Et tu crois que ça sert à quelque chose de vouloir remonter le temps ? C'est impossible. Tu crois que Rubis ne me manque pas ? Elle était magnifique, d'une telle gentillesse, d'une telle grâce, que j'aurais pu en tomber amoureux malgré notre différence de race. J'aimais William, j'aimais tout ce qu'il était mais j'aimais aussi profondément celle avec qui il était lié. Tu crois que tous ces moments de quasi liberté avec elle ne me manquent pas autant que ceux avec lui te manquent ? Moi aussi j'ai envie de hurler, moi aussi j'ai envie de crier au monde que c'est injuste parce que ça l'est, moi aussi j'ai envie de m'effondrer et pourtant je suis toujours là. Et pour une seule raison, Sara, une seule. Une seule. »
« Et qu'est-ce que tu as trouvé de mieux que tout ça ? » répondit-elle, froide.
« Toi. »

Grand moment de silence pendant lequel Fedele reprit sa posture douce et protectrice. Sara se laissa tomber à genoux et l'enlaça. Il posa sa tête contre son épaule et lança un regard à Gabriel et Elendil qui ne savaient que faire à part les observer, lui faisant signe qu'ils pouvaient s'approcher, que Sara serait à présent plus calme et plus apte au dialogue. Parce qu'il venait de comprendre pourquoi le deuil était si dur à porter.