I'm sorry, so sorry ▌Aaron Dwayne

Tout était nouveau pour moi. La végétation, le lieux, même les conditions de vie. Ici il n'était plus question de voyager, de vivre au jour le jour et de passer son temps à se promener et à découvrir. Chaque jour un nouveau village, un nouveau pays, une nouvelle contrée. Adieu la vie de nomade, de voyageur aventurier. Adieu le voilier familiale, ce petit endroit cossu où j'avais passé toute ma plus tendre enfance et mon adolescence. Dans cette nouvelle vie, je me sentais perdue. J'étais plantée comme un piquet en plein milieu du parc, le regard hagard. La tête légèrement inclinée sur le côté, je regardais avec un air béat l'institue où j'allais à présent passer tout mon temps. J'allais me sédentariser, fouler pendant plusieurs années le même sol. J'allais finir par connaitre le moindre recoin de cette bâtisse, la moindre brindille de ce parc. Et cela me faisait peur. J'avais peur de ne jamais pouvoir m'y habituer, peur de regretter mon ancienne vie. Mais je ne pouvais pas faire marche arrière, c'était trop tard. J'avais fait mon choix en lisant cette lettre. Quoi qu'on ne peut pas vraiment appelé ça un choix. Ca avait plutôt était une obligation. Comment pouvait-on arriver à refuser une telle proposition ? Là-bas on pouvait vivre avec des personnes comme nous, dotées d'un don et surtout d'un daemon. Plus besoin d'avoir peur que quelqu'un se rende compte de la spécificité que l'on représente. Et surtout il y a aussi la possibilité de pouvoir apprendre à contrôler son don, ce qui pour moi était une véritable nécessité.

J'avais quitté mes parents il y a quelques heures. Le temps de prendre un avion, puis un taxi, et j'étais ici, avec mes deux valises remplies de souvenirs accumulés au fil des années. Je m'étais dirigée vers l'accueil, je m'étais inscrite, j'avais été déposée mes affaires dans ma chambre. Et maintenant j'étais là, dans ce parc verdoyant, Nux allongé à côté de moi, se dorant la pilule au soleil. Je ne savais plus quoi faire. Ici il n'y avait pas besoin de partir en exploration, de faire attention aux animaux sauvages et aux malfrats. Il y avait juste à aller en cours, à manger, et à dormir. D'une monotonie affligeante. Géniale pour une fille qui avait l'habitude de la nouveauté. Oui, décidément, c'était un total changement de vie.

Nux * Tu comptes rester ici toute ta vie ? *
Olympe * Je réfléchie. *
Nux * Tu penses pas qu'il y aurait d'autres choses à faire ? *
Olympe * Si, surement... Mais j'ai pas envie. *
Nux * Oh allez Oly ! Juste une petite ballade ! *
Olympe * ... *
Nux * Allez Oly ! S'il te plait, s'il te plait, s'il te plaiiit ! Je m'ennuie moi ! *
Olympe * Tu sais que t'es borné quand tu t'y mets...!? *

Nux, lui, ne semblait pas partager mes craintes. Tout lui allait à condition qu'il soit à mes côtés. Brave bébête. Je plongeais mon regard dans le sien, me rappelant tous les moments que l'on avait vécu ensemble. Des masses et des masses... Nux agita ses oreilles, perplexe. * Quoi, j'ai un poil qui rebique sur les oreilles ? *. Je ne pus m'empêcher de rire à cette remarque. Qu'il pouvait être niais... Je me penchai pour lui caresser entre les deux oreilles. La boule de poile se leva et releva haut la tête, un peu comme à la manière des chats. Je souris à cette remarque. Un gros chat. Mon regard se porta vers les bois, un peu plus loin. L'envie d'y aller me prit. Après tout, ça ne sert à rien de réfléchir sur l'avenir, on ne peut pas savoir. Alors autant se jeter à l'eau, et je verrais bien comment ça se passe après... Nux bondit en poussant des petits cris joyeux, avant de s'élancer vers les bois. * On fait la course Oly !? *. Je fis une moue dubitative, voyant l'animal avec déjà une longueur d'avance. Pourtant je me pris au jeu, m'élançant à mon tour. Ma condition de bipède faisait que j'allais moins vite, mais j'avais de plus longue foulée que mon petit camarade. Enfin bon, le fait est que j'atteignis les bois quelques secondes après Nux, et que celui ci tournait en rond, de joie. * J'ai gagné ! Je suis le plus beau, le plus fort, le plus intelligent ! *. * Fait gaffe à tes chevilles Nux, à ce rythme elles vont éclater. *. Le panda roux inclina son regard vers le mien et tira la langue. Je fis de même. Nous finîmes par éclater de rire, comme des gamins.

A peine étions nous partis dans les bois que nous entendions des bruits de pas. Au même instant Nux et moi nous arrêtâmes, nous lançant un regard intrigué. Nous n'eûmes pas à nous interroger longtemps, car un grizzly accompagnée d'un jeune homme débarquèrent. Ils semblaient tout aussi surpris de nous voir. J'avais déjà croisé un grizzly, en Amérique il y a de cela quelques années. Je n'avais pas encore développé mon don. Dans tous les cas celui que j'avais en face de moi était impressionnant. Il y eut un grand silence, un temps d'observation. Voir un humain avec un animal, comme Nux et moi... Je n'avais encore jamais vu ça. C'était nouveau. Mon regard vint se coller irrémédiablement, contre celui du grizzly. Nous passâmes de longues secondes à nous regarder. L'homme parla, mais sa voix semblait lointaine. J'étais obnubilée par le grizzly, par ses yeux noisettes, la force titanesque qui se dégageait de son corps. Nux, aussi, me parla, j'entendis sa voix dans ma tête. Mais je ne m'y intéressais pas. Les bouts de mes doigts s'engourdirent, puis me démangèrent. Mes mains se mirent à trembler, comme une lente progression, elle gagna mes bras. Nux avait comprit ce que cela voulait dire. Il prit son élan, bondit, et planta ses griffes dans mon bras droit. La douleur me fit sortir de ma torpeur. L'homme et le grizzly avait reculé d'un pas en voyant la scène, ils ne comprenaient pas. J'observai le tremblement de plus en plus fort de mes mains. Je compris à mon tour. Sans dire quoi que ce soit je fis volte face et partit entre les buissons. Il fallait que je m'éloigne le plus possible, le temps était compté. Nux bondissait à mes côtés, je sentais sa propre panique amplifiait la mienne.

* Oly, arrête toi, on a plus le temps d'aller plus loin. *. Nux avait raison. Le tremblement prenait à présent mes bras et mes jambes. Les spasmes devenaient de plus en plus violent. J'allais me transformer, je le savais. Et je ne savais pas comment l'arrêter. Rapidement je déboutonnai mon manteau, ainsi que ma chemise. Nux mordait les lacets de mes chaussures, espérant gagner le plus de temps possible. Les affaires volaient à même le sol, pas le temps de les plier. Je perdis du temps à essayer d'enlever la boucle de ma ceinture. Le pantalon finit tout de même par glisser le long de mes jambes. Étant large, je pus l'enlever sans enlever mes chaussures . Mon corps tout entier était agité de spasmes. Quelques secondes encore, par pitié... Mais je m'étais déjà assez retenue. La douleur m'humidifiait les yeux. Alors je lâchai prise. Mon corps fut aussitôt couvert de poils brun, mon corps tripla de volume. Mes chaussures, que je n'avais pas eu le temps d'enlever, explosèrent.

▌Grizzly ▌

Mes sens furent décuplés, mon souffle était rauque et bruyant. Mon regard se posant directement vers Nux, qui venait d'assister à la scène. Il avait reculé, de peur, devant ma masse importante. Mon regard divaguait de droite à gauche, perdue. Les odeurs se bousculaient dans ma truffe. La viande, l'humidité, les arbres... Une odeur, cependant, retint mon attention : le miel. Avec un grognement, sans plus réfléchir, je m'élançai vers cette odeur. Slalomant entre les buissons, j'entendais la voix de Nux résonnait dans ma tête. J'avais envie de lui répondre, de lui dire que tout allait bien, de m'arrêter et de l'attendre. Mais je ne pouvais pas. Le miel obnubilait mes pensées. Miel, miel, miel. L'humaine n'avait plus de prise sur l'animal. L'instinct était le plus fort. Et l'instinct me dictait, sans que je puisse refuser, d'aller chercher ce miel. Je sortis rapidement des bois, et me stoppai net. Devant moi un homme, avec un pot de miel entrouvert. Un oiseau minuscule était posé sur son épaule. Je soufflai fort, essoufflée. Puis je grognai, montrant les crocs. Miel, miel, miel. Je fis un pas dans leur direction, puis me mis sur mes deux pattes arrières, étirant mes pattes avants devant moi. Je voulais ce miel, et rien ne pourrait m'en empêcher.

« Allez quoi ! Pour changer un peu des myrtilles ! »
« Nan ! »
« Gaïa ... ? (: »
« Oui ? =D »
« Tu fais chier (: »
« Moi aussi je t'aime Aaron (: »

Aaron leva les yeux au ciel, prit le pot de miel en tirant la langue à son daëmon qui poussa un cri outré. Bah quoi ? Je prend ce que je veux ! L'oiseau jeta un coup d'œil au pot de confiture de myrtilles qui l'appelait, s'envola à la suite de son humain en maugréant. Le pion se posa sur une table à l'écart sans se soucier des regards curieux et pleins de pitié que lui lançaient les élèves. Enfin, s'il affichait un calme parfait, ces regards l'agaçaient au plus haut point. Lâchez moi bande d'hypocrites. Okay il ressemblait à rien avec sa barbe de quinze jours, okay il y avait des histoires qui traînaient sur lui et ce qui l'avait rendu comme ça. Ce n'était pas une raison pour avoir cette pitié qui le révulsait à chaque fois qu'il la voyait. Apercevant un élève, les sourcils froncés d'un air désolé et qui ne détournait pas les yeux en croisant ceux d'Aaron, celui ci le foudroya du regard. L'étudiant frissonna, comme poignardé par l'acier des prunelles du jeune homme. Il baissa rapidement les yeux en rougissant, ramassa son plateau, pris son daëmon-furet sur son bras et s'en alla à toute vitesse. Trop occupée à ne pas lâcher du regard la confiture qui l'appelait encore, Gaïa ne remarqua pas la scène. Sans faire de commentaires, Aaron posa son plateau sur une table, mangea distraitement la seule pomme qu'il avait prit, oublia presque le pot de miel qui trônait fièrement devant lui. L'oiseau le foudroyait du regard, comme si tout était de sa faute. Le pion jeta un coup d'oeil à l'étalage de nourriture au centre de la cafétéria, regretta un instant de ne pouvoir faire directement venir le pain qu'il destinait à Gaïa dans sa main. Le daëmon dit qu'elle n'avait pas faim en haussant les épaules, il n'insista pas. Captant un énième regard désolé, Aaron soupira, tenta de ne pas se jeter sur la fille qu'il aimait pourtant bien d'habitude. Et sans lui accorder d'importance, il se leva, pris le pot de miel dans sa main et laissa le plateau vide en plan pour sortir par la baie vitrée. Il ne vit ni le regard désespéré de la cuisinière, ni tous ceux des étudiants qui le suivaient en même temps qu'il disparaissait.

C'était comme des lances dans son dos. Tous ces regards rivés sur lui. Il en frissonnait rien que de les imaginer, n'osait même pas se retourner. Sinon il allait faire un massacre. Posée sur son épaule, Gaïa sourit et lui donna un petit coup de bec affectueux dans le cou. Aaron s'arrêta après avoir tourné derrière un buisson, laissa retomber ses épaules tendues en soupirant. Il eut un demi sourire amer, caressa du bout du doigt le poitrail de sa moitié. Elle lui pinça doucement la peau et réussit à lui tirer un sourire plus vrai. Il secoua la tête en riant doucement et l'oiseau vint voleter devant ses yeux.

« Fais péter le miel \o/ »

Une véritable boule d'énergie, de bonne humeur et d'amour. Voilà ce qu'elle était. Sans s'arrêter de sourire, Aaron plaça le pot devant lui, plissant les yeux avec malice. Il ouvrit le couvercle. Tadaaam ! Et ce fut la fin du monde. Avant même que Gaïa ait put se poser sur le bord du pot, une immense forme sombre déboula sur l'herbe. Haute. Énorme. Toute en muscle et en puissance. La sauvagerie à l'état brut. Le souffle rauque. Chacun de ses pas résonnait dans la Terre comme une onde de choc. Ours. Aaron sentit son cœur manquer un battement face à cette apparition. Puis, il se mit à marteler sa poitrine à la même cadence que les pas du Grizzli qui approchait. De plus en plus vite. Trop choqué pour réagir, le jeune homme resta sur place, pétrifié. L'Ours s'arrêta à quelques mètres de lui, se leva sur ses pattes arrière en rugissant.

« Oh putain.. » murmura Aaron dans un souffle, hors du temps.
« AARON ! »

Le cri de Gaïa le ramena brusquement à l'atroce réalité. Il était face à un plantigrade qui faisait plusieurs fois sa taille et avait l'air très énervé. L'Ours poussa un autre cri, terrifiant. Puis il s'élança à toute vitesse vers lui. Sentant son corps vibrer sous le martèlement de ses énormes pattes, Aaron recula précipitamment, ne pouvant détacher ses yeux de ceux de l'animal. Il recula plus vite, s'emmêla les pinceaux, tomba à terre. Instinctivement il mit ses bras devant lui comme protection. Ridicule vu la puissance du plantigrade. C'était fini, il n'avait plus que quelques secondes à vivre. Lui qui se laissait dépérir depuis quelques jours voilà qu'une idée le frappait durement. Il avait envie de vivre. Vivre, maintenant, et pas mourir à cause d'un putain d'Ours ! Alors, il fit la dernière chose qu'il avait envie de faire. Ce qu'il redoutait autant qu'avait envie de contrôler. Espérant juste pouvoir s'arrêter à temps. Ne pas tout détruire alentour. Brutalement, Aaron appela son pouvoir. Appela la Terre.
Qui s'empressa de répondre.

Un grondement de fin du monde retentit et la pelouse se fendit entre lui et l'animal. Violemment. Sous le choc, Aaron sentit sa tête venir frapper contre le sol. Il grimaça et se redressa comme il le pouvait. Son intervention semblait avoir stoppé le plantigrade, il fallait maintenant qu'il s'arrête lui même. Gaïa hurla en sentant le Phoenix tenter de prendre possession de son humain, le rejeta avec hargne. STOP ! Le cri qu'il avait d'abord pensé totalement mental résonna autour d'eux et la Terre cessa de trembler. Ce qui n'était pas le cas d'Aaron. A bout de souffle, tous les muscles agités de spasmes incontrôlables, Aaron s'allongea et tenta de calmer les battements affolés de son cœur. Se rendant compte qu'il ne savait pas ce qu'était devenu l'Ours, il se redressa difficilement sur ses coudes, s'aperçut qu'il avait disparu. Tant mieux. Gaïa se jeta sur lui, tremblante, et vint se blottir dans son cou. Aaron se passa une main sur le visage avec lassitude, prolongea le mouvement pour aller caresser sa moitié. Il fallait qu'elle se calme. Sinon ça ne passerait jamais. Il souffla longuement, se dit que cette scène avait quelque chose de familier pour lui. Une Kalhan imaginaire dansa un instant devant ses yeux clos et il sourit en déglutissant difficilement. C'est pas passé loin cette fois encore. Une question persistait à présent: qu'était devenu le Grizzli ?

Up ?